Hommage à Yannick Bellon, cinéaste libre et engagée

En partenariat avec La Cinémathèque de Corse.

Ses films racontent des prises de conscience, des combats, des destins. Cinéaste audacieuse, également monteuse, scénariste, productrice, Yannick Bellon conjuguait tous les talents.

Au fil de sa carrière longue de plus de soixante ans, Yannick Bellon a construit une œuvre à la fois riche et complexe, qui échappe à toute définition. Observatrice de son époque, qu'elle dissèque avec finesse, Yannick Bellon a fait de son cinéma un art militant traversé par une infinie poésie.

Yannick Bellon, réalisatrice, monteuse et productrice, abordait dans ses films des questions sociétales. Elle est décédée le 2 juin 2019 à Paris, à l’âge de 95 ans. Nous souhaitons célébrer son centenaire en 2024.

Née Marie-Annick Bellon à Biarritz le 6 avril 1924 d’une mère photographe, Denise Bellon, et d’un père magistrat, Jacques Bellon, elle et sa sœur Marie-Laure (la comédienne et dramaturge Loleh Bellon) grandissent dans un milieu artistique marqué à gauche. Très tôt, Yannick Bellon s’intéresse au cinéma, qu’elle découvre avec son oncle Jacques B. Brunius. Brunius est un touche-à-tout : comédien, réalisateur, peintre, photographe, critique, ami d’André Breton et d’Henri Langlois. Plus tard, la cinéaste fera débuter dans le cinéma en tant que scénariste et dialoguiste son cousin (petit-fils de Brunius) Rémi Waterhouse (l’auteur notamment de Ridicule, réalisé par Patrice Leconte). Chez les Bellon, le cinéma est une affaire de famille.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Yannick Bellon rencontre Jean Rouch, alors un jeune ingénieur, son premier amour. Ils ne savent pas encore que chacun aura une carrière dans le cinéma. Rouch part pour l’Afrique, Yannick reste dans le Midi. En 1944, elle étudie un an à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, devenu la Fémis) dans la même promotion qu’Alain Resnais. Puis, elle devient monteuse et cinéaste.

A 22 ans, entre 1946 et 1948, elle tourne sans producteur, sur une île isolée de Bretagne, dans des conditions précaires, le documentaire Goémons. Le film obtient le Grand prix à la Biennale de Venise et une notoriété internationale. Quatre ans plus tard, elle réalise Colette, le seul film avec la célèbre écrivaine.

Dans les années 1950 et 1960, Yannick Bellon alterne montages et réalisations de courts et longs métrages (notamment pour Pierre Kast), de documentaires et de fictions pour la télévision (notamment « Bibliothèque de poche » produite par Michel Polac, « Anatomie de Los Angeles » à partir d’un texte de Michel Butor, etc.)

En 1972, elle réalise son premier long métrage, Quelque part quelqu’un (interprété par Loleh Bellon et Roland Dubillard), qu’elle écrit, produit et réalise seule en créant sa société les films de l’équinoxe. En de longs travellings, elle capte la réalité, le lyrisme et la poésie du Paris en pleine mutation urbaine. Grand film incantatoire, il rend aussi un hommage poignant à son époux, Henry Magnan, journaliste au Monde, qui s’est suicidé en 1965, à l’âge de 44 ans. Son deuxième long métrage, Jamais plus toujours (1976), lui fait écho dans une méditation intime sur le temps et la mémoire.

Depuis La Femme de Jean, son troisième film sorti en 1974, qui raconte l’histoire d’une femme au foyer quittée par son mari, Yannick Bellon est classée parmi les cinéastes féministes. L'amour violé (1978) le confirme. Il est l’autopsie d’un viol filmé au plus près de sa violence et la difficile réadaptation du personnage principal à la vie quotidienne. Ce film, que seul accepte de distribuer le producteur Marin Karmitz (son ancien assistant), déchaîne les passions et offre à la réalisatrice son plus grand succès
public (avec Les Enfants du désordre, 1989).

Dans chacun de ses films, Yannick Bellon s’intéresse à un sujet sociétal peu ou pas abordé au cinéma (le viol, le cancer, l’écologie, etc.) et à des personnages principalement féminins qui s’efforcent de se reconstruire, se heurtant aux conventions et aux violences les plus banalisées de la société. C’est le cas notamment de L’Amour nu (1981), sur le cancer du sein, de La Triche (1984), sur la bisexualité, ou encore de L'Affût (1992), sur la chasse.

En 2001, Yannick Bellon revient au court métrage documentaire de création et réalise, avec Chris Marker, Le Souvenir d'un avenir : un hommage à l’œuvre photographique de sa mère, Denise Bellon. Une femme libre à la curiosité insatiable, qui a parcouru le monde et fréquenté l’avant-garde artistique et littéraire (les surréalistes, Joë Bousquet, Jacques Prévert, Henry Miller, etc.) sans jamais méconnaître les oubliés de la société.

Dans tous ses films (8 longs métrages et 16 courts métrages au cinéma), Yannick Bellon a porté un regard lucide sur ces êtres partis à la reconquête de leur dignité. Elle a mené sa carrière en produisant de manière autonome et artisanale, avec difficulté, ses propres films souvent refusés par la profession, et en se montrant intransigeante sur les thèmes qu’elle affrontait sans détour. Si on peut parler d’une cinéaste engagée à l’écriture très personnelle, on ne saurait négliger pour autant son travail de recherche formelle, mêlant la fiction et le documentaire, et creusant la question du temps et de la mémoire.

Ces dernières années, elle s’était impliquée dans la restauration de certains de ses films avec l’aide du CNC, après avoir récupéré les droits de ses premiers courts métrages et ceux de son oncle Jacques Brunius. Des coffrets DVD sont sortis. Plusieurs rétrospectives de Yannick Bellon ont été faites en France et à l’étranger, permettant à un nouveau public de découvrir ses œuvres et de juger de leur modernité.

D’où vient cet air lointain ? est le dernier film de Yannick Bellon. Dans ce documentaire autobiographique, réalisé en 2018, la cinéaste revient sur son enfance, sa famille, ses amis, ses engagements, empruntant différents chemins pour nous conter son histoire, toujours disponible « aux ordres du merveilleux... », comme l’écrivait Breton.

Eric Le Roy

L'exposition photo de Yannick et Denise Bellon

 

Dans les années 1930, Denise Bellon (1902-1999) s'initie à la photographie et rejoint l'équipe de l'Alliance photo, l'une des premières agences d'images. Libre et marginale, elle traverse l'histoire de la photographie en dehors des conventions. Elle effectue aussi dans les années 1960 des photos de plateau de cinéma, sur les tournages de sa fille Yannick Bellon.